Si je donne ce titre, c'est que la matinée de dimanche nous a permis d'approfondir les échanges et de creuser de nombreux points. Les trois intervenants, très différents, ont chacun apporté leur pierre avec des interventions de haute volée.

Jean-Marie Petitclerc, éducateur et prêtre salésien, entendu lors des Semaines Sociales sur la violence en 2004, toujours aussi percutant.

Jean-Marie Petitclerc travaille auprès des plus fragiles, dans les cités difficiles. Derrière la violence, se cache en effet la fragilité. Chacun doit aider l'autre à assumer ses fragilités pour construire. Il convient de noter l'allongement de la période d'adolescence : rajeunissement de l'âge d'entrée (11 ans), allongement de la période également jusqu'à 25 ans. Cette période de passage est cruciale, elle suscite auprès des jeunes beaucoup de questions. Quitter l'enfance pour l'âge adulte demande un travail de deuil, de fragilité. Deuil d'une famille rêvée - vécue, des histoires familiales compliquées, des failles et des limites comme tout adulte.
Vouloir jouer les héros face à ses enfants ne les aide pas car cache ces failles, les limites, que tout enfant a également. L'importance du regard des autres, les images rêvées - renvoyées par les autres, les conduites alimentaires bizarres, les replis vers les mondes virtuels sont des signes de grande fragilité. Les apparences, les copains, le groupe, prennent encore plus d'importance. Exister sous le regard des copains est plus important que sous le regard des adultes. Il est alors nécessaire que tout jeune puisse se construire SON projet, non une illusion. Les adultes de son entourage sont là pour adapter ses rêves à la réalité du terrain, mais surtout pas pour briser ces rêves. Ne pas choisir pour un enfant. C'est de son avenir dont il s'agit. Souvent le jeune doit également faire face à une image toute-puissante de Dieu. Dieu n'est pas tout puissant, il est tout aussi fragile que moi.

Comment accompagner ces jeunes ? Voici le spistes proposées par Jean-Marie Petitclerc :
En premier, la confiance. Sans confiance, pas d'éducation possible. "J'ai besoin de toi"
L'espérance. Nous sommes tous fragiles, voyons ensemble le côté positif. On dit toujours les aspects négatifs, handicapants, le "délinquant" (ce qui impliquerait un délit). Ne pas juger à partir de la fragilité d'un autre. Travailler les champs de la performance, non la personnalité. Jugeons les actes, pas la personne : "t'es trop nul" est bien différent et négatif de "ta copie est nulle".
Refusons la fragilité pour justifier une dépendance. Rien n'est pire que les héros voulant faire "du social". Rendons-nous acteurs, pour faire alliance avec les autres. De même, les jeunes qui cassent leurs propres jouets ou lieux vont beaucoup moins bien que ceux qui cassent les jeux de leurs voisins.

Michela Marzano, philosophe et professeur des universités, restera mon "coup de coeur" de l'ensemble de ce colloque. Vous allez je pense comprendre qu'elle a creusé les choses...

Nous avons tous besoin de comprendre nos propres failles. Mais que faire ensuite de ces failles ? Des points de départ de sa propre richesse. Quoi qu'on en dise, la souffrance n'a aucun sens. Et un excès de confiance en soi peut mener à justifier l'écrasement des autres.
- Une société très normative. On peut très vite se retrouver marginalisé car "pas dans le moule". On nous vend l'importance de "rester jeune dans son corps" tandis que l'exigence de mémoire est omniprésent. Cela culpabilise ceux qui sont hors des standards. Prendre donc attention au langage utilisé. Exemple : personnes âgées dépendantes renvoie tout au négatif !
- Une idéologie du mythe du contrôle, de l'autonomie absolue. Chacun doit avoir la possibilité d'un projet, en ajustant autonomie et possibilités. Malheureusement, la confiance en soi est devenue en quelques décennies une compétence. C'est un vrai problème de classification : le winner met tous les autres à l'écart car n'apportent rien à son estime et présente un risque potentiel pour lui-même. Tout doit être sous contrôle, mon image que je donne de moi. Plus je contrôle, plus j'ai peur. L'autre représente une altérité, échappe à mon contrôle. La peur entraîne une diabolisation de l'autre... et il devient facile d'instrumentaliser les peurs des autres. Donner confiance en restant vigilant et attentif aux autres est bien différent.
- Comment inscrire un lien de confiance ? C'est un pari sur les autres que l'on fait. "Je crois en toi sur ce que tu peux faire". La fiabilité reste importante mais tu as le droit de tomber. Pour moi, c'est un saut dans l'inconnu, cet acte de faire confiance. Je me rends vulnérable, donc fragile. J'ai aussi une attente de l'autre, qui a la possibilité de me trahir. Et surtout, j'accepte que l'autre voit mes failles et puisse en profiter. Cette relation asymétrique est la base du vivre ensemble. A nous de trouver cette force en nous ouvrant aux autres. Et travailler la suffisante bonne estime de soi.

Jean-Paul Delevoye, enfin, a conclu cette matinée par un encouragement à supporter l'émergence d'une autre société, de nouvelles politiques.