Nous avons assisté ce week-end à Lyon au colloque organisé par l'Arche en France, intitulé Fragilités Interdites.

Je vous propose de m'en faire l'écho, à partir des notes que j'ai prises. Je m'excuse du caractère prises de notes mais préfère m'exercer à la restitution pour vous laisser libre de critiquer et analyser.

Commençons par une introduction générale, par Bruno Frappat, journaliste. Voici les constats qu'il fait, accompagnés de quelques pistes.

L'actualité autour des fragilités ne manque pas. Fragilité du monde, fragilité économique. Le concept de fragilité est largement répandu. Les liens autrefois si forts entre salariés et entreprises n'existent plus. Le salarié est devenu faible, fragile. Les institutions elles-mêmes sont présentées comme fragiles. La justice aussi. Fragilité de nos écoles, de la jeunesse, des religions, des autorité familiales. Fragilité de la planète.

Fragilité éthique, principes temporaires, fragilité du présent et du futur. Seul le passé semble solide car vécu... "Une civilisation a la même fragilité que celle d'une vie" (Paul Valéry). A travers les médias et les communications toujours plus rapides, le sentiment de fragilité a augmenté. La fragilité est également plus visible. Regard globalisé, immédiat, souvent trop rapide car visant à susciter chez l'autre de l'émotion. Or, l'émotionnel fragilise, ne permet pas de développer un regard, un esprit critique. Et "le sommeil de la raison engendre des monstres" (Goya). Nous sommes entrés dans une ère de la défiance. D'un côté, on pourrait être tenté de construire un système de protections, d'exiger le zéro défaut, de viser le parfait, de constituer des principes de précaution illusoire. Bruno Frappat nous propose plutôt de hiérarchiser nos fragilités. Car à force de vouloir protéger tout le monde, on fragilise encore davantage les plus faibles.

Poursuivons par quelques pistes proposées par Julia Kristeva, Linguiste, sémiologue, psychanalyste, écrivain.

Mme Kristeva a commencé par constater la faillite de la République sur le handicap. La banalisation des fragilités entraine un oubli des plus fragiles (elle rejoint en cela l'intervention précédente). D'où cette question : en quoi réside la spécificité du handicap fragile ? Handicap = peur, rejet. Le rôle de la mère auprès de tout enfant est très important. Pouvoir lui dire "je t'aime comme tu es, c'est tout". Mais les femmes ne sont pas accompagnées suffisamment dans leurs fragilités, dans leurs maternités. Cette décentralisation vers un être à naître, vers l'inconnu, présente des risques : enfermement, déni (tout va bien), prive de liens.

L'acceptation de la vulnérabilité de chacun est longue. le handicap doit nous sortir de nos certitudes, doit nous désillusionner : nous sommes tous vulnérables. Ayons une vision positive de ce fait, portons un regard amoureux sur nos faiblesses. Intégrons une réflexion politique forte pour donner du sens à chacun. Soyons attentifs aux autres, ne parlons pas d'intégration, nous sommes déjà avec eux. Chacun doit être reconnu dans la société. Le groupe (au sens société) doit prendre soin du handicap pour les réinsérer auprès de ceux qui ne savent plus écouter. Faisons preuve pour cela de créativité !

Axel Khan, généticien et directeur de recherche à l’Inserm a ensuite proposé une analyse que j'ai trouvé très intéressante.

La fragilité ne peut pas être seule. L'insertion dans une communauté humaine (par exemple deux individus) est au coeur de tout. La réciprocité, la reconnaissance de la valeur de l'autre, de ce que je vois de l'autre, est vecteur de fragilité. L'autre me renvoie à mes propres fragilités. Comment une personne "est-elle fragile" ? Débat de l'inné et de l'acquis. D'un côté, un déterminisme inné, affirmation beaucoup trop rapide car les gènes ne gouvernent pas un être. De l'autre, les acquis engendrés par un environnement, une société dure. Mais les scientifiques montrent que nous sommes variablement sensibles à un même environnement. Et c'est justement cet environnement auquel nous devons porter attention.

Confrontés aux normes de notre société (la méritocratie, la connaissance), la place de la personne est diminuée. Les normes liées à la maîtrise de la performance ont été crées pour avancer vers un bien commun, mais finalement le bien commun a été abandonné. L'homme est abandonné dans des calculs de performance, le moyen initial (les indicateurs) devient LA finalité, l'individu est oublié. On n'apprécie plus l'homme en tant que tel mais son rendement. L'homme est devenu un moyen => ECHEC.

Autre approche éthique :
- dans tous les cas de fragilité, la finalité de l'intervention est la personne elle-même (son autonomie, son insertion). Cela exige un environnement favorable à l'état que l'on espère atteindre.
-refuser d'intervenir pour ce que l'on attend de cette personne
- ne pas vouloir responsabiliser c qui ne peut l'être, ou l'on s'exposerait à de lourdes conséquences
- développer le principe de relation plutôt que celui de la précaution